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NICOLAS WALZER |
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Mise en ligne le : 25 juin 2010 | Intervieweur :
AVALON
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1/ Salut Nicolas Walzer, peux-tu brièvement te présenter, qui es-tu et quel est ton activité actuelle : écrivain, éditeur, sociologue, prof ? Je suis sociologue (enseignement, publications, direction d’ouvrages, recherche dans un laboratoire, organisation, participation à des colloques) même si j’utilise beaucoup l’anthropologie et la philosophie pour mes travaux (d’ailleurs le domaine de compétence de mon doctorat est "sciences sociales" précisément) ainsi que l’histoire (puisque j’ai aussi une maîtrise d’histoire). Mes thèmes de recherche : minorités culturelles et religieuses, nouvelles spiritualités, paganisme, sectes, ésotérisme, satanisme, Nietzsche… 2/ Tu viens de sortir le livre fort intéressant "Du paganisme à Nietzsche" aux Editions Camion Blanc donc, tout d'abord comment a commencé le projet, pourquoi avoir décidé d'associer le black metal au philosophe (incompris) Nietzsche ? Merci pour ta question, cela va me permettre de réagir à ta chronique : Puisque tu te poses trois fois la question : Pourquoi ne parler que du black metal ? (Ce qui est inexact puisque je cite aussi le neofolk et l’indus ainsi que le paganisme dans la Wicca en analysant un dignitaire Frédéric Lamond. Même si il est vrai que le black metal forme l’essentiel du livre). Simplement parce que dans tout livre il faut une ligne éditoriale pour éviter de partir dans tous les sens. Le paganisme dans le black metal me paraissait justement différent de celui dans l'indus ou dans le néofolk. Il faut faire des choix car sinon parler du paganisme dans le rock c'est juste un autre livre... Et on n’a pas fini avec tous les sous genres....Bref un travail infaisable d'où le premier commandement d'un travail universitaire : arrêter une ligne directrice claire, ne pas avoir les yeux plus gros que son cerveau. C’est souvent le premier des griefs adressés à une recherche universitaire. Pour Nietzsche, je crois que tu as lu trop vite : je précise plusieurs fois qu'il ne faut pas conclure que Nietzsche est similaire au black metal. Justement, je relève tous les points de divergence entre les métalleux et Nietzsche. En voici un et pas le moindre : Nietzsche a une pensée du Sud, méditerranéenne alors que c'est l'inverse pour Wagner et les métalleux : il s'agit d'une pensée nordiste (hyperboréenne) avec les quelques dérives que l'on sait de Graveland, Nokturnal Mortuum, Hate Forest et le NSBM.... C’est justement ce type de pensée que fustigeait Nietzsche ce qui pointe encore une fois tout ce qui le sépare des nazis et de leur bricolage raciste ridicule. Ainsi, toutes les personnes qui se disent fascinées par la Lumière du Nord et en même temps par Nietzsche sont dans un contre-sens absolu. C'est cela qui était intéressant pour moi : montrer une lecture plus "juste" de Nietzsche (jadis bien montrée par Bataille puis Deleuze, Foucault...) mais à destination d’un public qui n’a pas forcément le temps de se renseigner sur lui. Ou qui semble y voir un grand frère sans arriver à préciser son sentiment. Montrer aussi et surtout les mésusages du philosophe chez les métalleux. Je cite notamment l’exemple de Gorgoroth qui fait un contresens total sur la question du nihilisme. L’idée était de tenter de faire le même travail que les philosophes que j’ai cités mais pour le cas du metal. Prendre une subculture et montrer ses représentations. En quoi elle diffère de Nietzsche ou parfois le suit. Si je pouvais servir de passerelle vers ces grands philosophes qui ont fait un travail salutaire pour dénazifier Nietzsche (qui était philosémite, il faut le préciser), mon livre aurait rempli sa mission. Pour indiquer une voie possible à investiguer au lecteur métalleux... Montrer donc les points communs entre cette subculture et Nietzsche mais aussi tout ce qui les oppose. Et notamment sur la volonté de puissance qui est très mal lue par les métalleux (et par le grand public d’une manière générale). Ce qui permet ensuite de mettre sa passion en regard de Nietzsche. En quoi il peut aider à mieux approfondir les tendances des métalleux : notamment l’exploration de la part animale de l’homme. J'ai mis ces points en gras dans le livre pour l'un d'eux en tout cas. Du coup, ta chronique fausse un peu le contenu du livre. Peut être aurais-je du être plus clair encore… A moins que ce soit la quatrième de couverture qui crée ce cliché, c'est bien possible. Elle est sans doute trop abstraite, j’aurais dû la rendre plus concrète. Il est vrai que c’est difficile ensuite de s'enlever ce cliché de la tête. Cela me gène car c'est bien sûr le cliché que l'on se fait du livre tout de suite en se contentant juste du titre. 3/ Evidement, on pourrait associer d'autres courants metal à d'autres philosophes ou libre penseurs, mais pour parler du cas Wagner, fidèle ami de Nietzsche, pourquoi le lier lui aussi au metal, est-ce la force de ses compositions? Attention je ne lie personne au metal : je fais juste un constat ! Il se trouve que bon nombre de métalleux (à tort ou à raison) citent Wagner et Nietzsche comme référence. J’ai voulu en savoir plus et travailler sur ces représentations. Qui sont souvent bricolées, parfois pointues. Je n’invente rien : Kirk Hammett déclare dans Metallica : Que justice soit faite (aux Editions Camion Blanc) que Wagner était l’un des premiers métalleux par l’ampleur de ses compositions. On pourrait trouver bien d’autres exemples. C’est souvent ce classique là qu’écoutent les métalleux à l’inverse de Mozart ou Debussy par exemple. Donc je ne lie personne au metal, ce sont les métalleux qui se lient à Nietzsche ou Wagner. J’analyse cette tendance, ni plus ni moins. 4/ Quel regard as tu sur la scène (black) metal, surtout concernant la culture ou l'inculture... les protagonistes savent-ils souvent ce que signifient le mot paganisme et connaissent-ils les écrits de Nietzsche par exemple? Dans le grand public d’une manière générale, Nietzsche comme le paganisme sont la plupart du temps bricolés. Le metal ayant un pied dans ce grand public n’échappe pas à la règle. Ce n’est pas étonnant puisqu’il s’agit de deux courants de pensée complexe qui demandent du temps et des lectures pour espérer les cerner correctement. Mais le plus intéressant pour un sociologue ce n’est pas de saisir la « vérité » de tel ou tel courant (si tenté qu’il est possible de parler d’une « Vérité » dans un courant de pensée ce dont je doute fortement) mais bien plutôt comment il est repris, déformé, quelle est sa postérité. Après il n’est pas du tout de mon ressort de juger, condamner ou encenser le metal. Je ne fais que travailler sur des représentations, sur des reprises culturelles. Je ne peux que constater que les métalleux sont les premiers à se considérer comme des incultes alors qu’ils ont Bac+2 en moyenne et que beaucoup suivent des cours à l’Université. Mais bien sûr en l’espèce, pour le métalleux : l’inculte c’est toujours son voisin et non lui-même. Cette tendance à se déconsidérer est assez passionnante à analyser. Si un des métalleux universitaires (de plus en plus écrivent un mémoire ou un exposé sur cette musique) est tenté par cette étude, je serai ravi d’en discuter avec lui. Mais cela se retrouve sans doute dans d’autres mouvements culturels. Au final, comme tu le vois, mon travail n’a rien à voir avec celui des musicologues. Je n’étudie pas la musique metal mais les représentations culturelles et sociales qu’il génère, son imaginaire. Et je remarque qu’il recoupe beaucoup des préoccupations du grand public alors qu’on aurait tendance à l’y opposer (un seul exemple : le refus des dogmes et une certaine fascination pour un sacré dénoyauté du religieux). Je précise ce point pour éclaircir un peu le but des sciences humaines. Je reviens justement sur « A quoi sert d’étudier le metal ? » dans l’introduction de mon livre Du paganisme à Nietzsche. 5/ Te sens-tu proche de la scène black, as-tu des références musicales de ce côté ? Je préfère parler ici simplement en tant que sociologue et garder mes goûts artistiques pour moi. J’aime assez peu raconter ma vie d’autant que je doute que cela puisse intéresser quelqu’un… (un aperçu ici, en bas de page : http://www.myspace.com/nicolaswalzer ). Tout ce que je peux dire est que forcément en 8 ans d’étude de la subculture metal, j’ai été amené à l’écouter et à tenter de le disséquer en profondeur. Des groupes cultes : Emperor, Immortal, Summoning comme des groupes plus confidentiels dont je parle dans mon livre : Hate Forest, Merrimack… ou même des groupes de doom comme Despond. J’ai tenté aussi d’analyser en profondeur la démarche artistique d’Ihsahn d’Emperor qui se fonde sur des archétypes moteurs. Il est sans doute l’un des meilleurs exemples de ces artistes qui se construisent en approfondissant leur part sombre. Ce qui revient en premier lieu à mieux se connaître. Mesurer la fine ligne au-delà de laquelle, cette recherche peut être dangereuse. Savoir s’arrêter dans son exploration intérieure. Connaître ses limites, apprendre à les repousser grâce à une pratique artistique. Dans la lignée de Baudelaire, Lautréamont, Sade… Sachant qu’il ne m’appartient pas de décréter si ces musiciens de black metal auraient un talent comparable à ces grands noms. C’est du ressort du public. 6/ As tu d'autres projets sur le feu, penses-tu écrire sur le death metal ou as-tu une toute autre idée ? Oui j’ai trois recherches que je mène de front. Une sur les sectes, l’autre sur le « geste environnemental » et une dernière sur l’Apocalypse 2012. Comme tu le vois, l’étude des subcultures n’est qu’une partie de mon activité. Sachant que mon activité principale est l’enseignement. J’aime beaucoup enseigner, à un moment ou un autre, on apprend quelque chose de ses élèves (les miens ont 20 ans et plus en moyenne). On dit souvent qu’on ne connaît bien que ce qu’on a enseigné. Un chercheur qui n’enseigne pas se coupe des réalités et de sa fonction de transmission. La transmission doit se faire par ses cours et par ses livres. 7/ Quels seraient tes mots pour encourager les métalleux à écrire et à lire, alors qu'internet, la télé, les jeux vidéos prennent peu à peu le dessus? De moins en moins de métalleux regardent la télé au profit d’internet. Le plus important à mon sens reste la CURIOSITE. C’est ce qui manque cruellement à l'homogéneisation culturelle actuelle. Qu’est-ce que j’entends par là ? Pour grossir le trait : 10 auteurs monopolisent quasi tout le lectorat, 10 groupes le public musical, 10 films les entrées en salle…. La curiosité est le point de départ de toute démarche artistique. Le polythéisme des valeurs (présent dans le paganisme) apprend justement à diversifier les horizons, à dépasser le « mono » pour le « pluri », le « poly ». (Je précise par ailleurs que je suis agnostique et apolitique). La diversité des tendances, humeurs, coutumes, traditions, religions, musiques, livres, films… a toujours été synonyme de bonne santé. Les situations de monopole dans la plupart des domaines sont dangereuses. Pour la lecture, il faut avant tout comprendre pourquoi c’est un bienfait et non rabâcher cela comme un père à son enfant. La littérature comme beaucoup d’autres arts demande une initiation, il faut faire l’effort d’aller vers elle. Je ne sais plus quel auteur a dit une chose à peu près similaire : Ce sont toujours les choses les plus difficiles à obtenir qui sont les plus enrichissantes. On ne peut apprécier un grand texte de science humaine la première fois. Ceci dit, j’avoue pour ma part avoir très peu de temps pour les œuvres de fiction. Je ne lis à 90% que des sciences humaines. Il faut avant tout savoir se prendre en main et constater qu’aujourd’hui, la société actuelle a certes multiplié les façons de se divertir mais a surtout multiplié les façons de perdre son temps. Et par exemple cet engouement lamentable pour le poker (ses joueurs pros surtout), où la loi du fric règne et te transforme en pantin sur pattes. Là où l’on ne construit rien, où l’on n’apporte rien en se limitant à un simple plaisir égoïste. La vie des joueurs de poker professionnels est la signification ultime de la vacuité sociale. C’est l’apothéose du nihilisme comme l’avait prédit Nietzsche. C’est le plus grand danger actuel : ne plus pouvoir se contenter des plaisirs simples de la vie. Un coucher de soleil, un sommeil réparateur, une bonne alimentation. Et les oublier pour : la drogue, les paysages supranaturels et d’autres excès qui font oublier le présent, la réalité d’être un humain sur terre… C’est le plus grand pari de l’homme aujourd’hui : Comment profiter au maximum du présent, du ici et maintenant, de cette Terre ci et non d’une autre fantasmée. A l’heure où les grands conflits sont passés et où certains tentent d’en recréer tous les jours des petits parce qu’ils s’ennuient… Le philosophe Clément Rosset a cette magnifique phrase : Sois ami du présent qui passe : le futur et le passé te seront donnés par surcroît. C’est bien sûr loin d’être évident mais « ça se travaille ! » comme me déclarait le batteur du groupe de black metal Orakle qui a fait sa maîtrise de philosophie sur Nietzsche. C’est bien pour cela qu’il déteste les paysages supraterrestres et fantasmés du Seigneur des Anneaux de Tolkien. 8/ Si tu devais mettre un adjectif en face de paganisme et en face de Nietzsche ? Paganisme : tolérance. En lien avec cette vision du polythéisme : chaque dieu (qui n’est pas considéré comme une entité physique mais juste comme un symbole) représente une facette bonne ou mauvaise de l’être humain. Nietzsche : roboratif, très attachant (lorsqu’on lit sa biographie). 9/ Merci pour cette interview, un dernier mot pour la route ? Oui merci, à destination de ceux qui aimeraient en savoir plus : Pour éclaircir les polémiques récentes autour du HELLFEST, du metal et du satanisme (Action en justice de certains milieux catholiques, les interventions d'un député métalleux à l'Assemblée Nationale et la réponse de Frédéric Mitterand, Pétitions pour/contre, Condamnations télévisées de Philippe de Villiers et Christine Boutin, Demandes de retrait des subventions, Lettres adressées aux grandes entreprises subventionnant la manifestation, Aspersion d'eau bénite sur les lieux du festival, les prêtres pour/contre le festival Hellfest...) voici la 1ère partie (sur 7 au total) d'un entretien fleuve entre moi-même et le Père Robert Culat, passionné de musique metal. Vers la fin de l'ensemble de l'entretien, une longue réaction d'un responsable politique anti-subventions Hellfest. http://www.musicwaves.fr/frmarticle.aspx?ID=312 Vous êtes invités, si vous le jugez utile, à relayer cette interview. Les parties ultérieures seront mises en ligne sur la même adresse. Je me permets cette annonce car je n’ai pu répondre en détail à ton interview étant donné que je répondais déjà à plusieurs de tes questions dans cet entretien en forme de mini-livre. Merci de ton intérêt, toujours ravi de voir que les graines qu’on lance à la mer peuvent servir à certains. |
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