CHRONIQUES DE LIVRES
IAN BRADY Les Portes de Janus, Anatomies de serial killers [ 2011 ] |
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496 pages Style : Essai subversif |
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Chronique : 11 juin 2011, réalisée par Hellbangeuse | |||
Outre-Manche, Ian Brady est bien plus qu’un simple nom, c’est une figure de haine nationale rebaptisée « le Meurtrier de la Lande ». Au début des années 60, avec la complicité de sa compagne Myra, il enlève, torture, assassine puis abandonne sur la lande de Saddleworth cinq mineurs d’âge et de sexe différents. Véritable psychopathe en puissance, Ian Brady est condamné à finir le restant de ses jours en prison et y croupit encore. Toutefois, ce n’est pas parce que l’on vit derrière des barreaux que l’on stoppe toute forme de vie, notamment intellectuelle. Ces quarante-cinq années de rétention ont été l’occasion pour Brady de multiplier ses connaissances en littérature, philosophie mais également de mener des recherches poussées sur certains tueurs en série. « Les Portes de Janus » en sont la livraison finale, sorte de brûlot politiquement anti-correct, socialement et philosophiquement dérangeant, ne posant aucun tabou et encore moins d’interdits. Toutefois, Ian Brady ne prend pas la parole tout de suite. Comme pour excuser la parution d’un tel livre, nous mettre en garde sur son aspect subversif et se dédouaner de toute mauvaise intention, un long avant-propos suivi d’une aussi interminable introduction nous sont infligés par le Dr Kneightley et le criminologue Colin Wilson. Bien qu’il soit toujours utile de connaître un peu mieux ce dangereux auteur et les circonstances d’écriture d’un tel ouvrage, la plupart de ces pages restent dispensables car trop superficielles, comme si Wilson et Kneightley s’écoutaient parler avec complaisance. Passés ces débuts pénibles à l’écriture un peu trop bien-pensante, voilà que la bête débarque enfin dans une première partie théorique qui n’en reste pas moins passionnante. Brady explique d’ailleurs dès les premières lignes pourquoi il ne commence pas tout de suite son étude sur les tueurs en série : « Si nous voulons parler sérieusement de meurtres et de certains de ses participants, il nous faut d’abord bien définir nos termes ». Démarche méticuleuse de la part de l’auteur qui lui permet par la même occasion de brosser un portrait complet de sa vision du monde et de la société contemporaine. Pourquoi tuer ? Est-ce si mal ? Pourquoi y a-t-il des meurtres légaux et d’autres lourdement punis ? Oui, des meurtres légaux. Et c’est à partir de ce moment-là que le lecteur peut entrer en contact avec Brady. Sa vision de la société est finalement réaliste, parfois même proche de la nôtre, enveloppée d’un cynisme débordant qui frappe là où ça fait mal. Derrière notre morale affichée se cachent nos instincts sanguinaires, régulés par une loi d’Etat fluctuante qui a pour but de défendre ceux qui l’imaginent. Brady est certes proche de certains clichés mais ne fait que les effleurer grâce à son point de vue hors-norme et murement réfléchi. Car ce ne sont pas les références qui manquent pour étayer sa thèse. De Nietzsche à Shakespeare, « Les Portes de Janus » frôlent le manuel culturel et littéraire, tant les citations affluent de toute part et à chaque fois judicieusement insérées. Le discours de l’auteur est donc construit et sérieux, personne ne se moque ici du lecteur. Après cette déstabilisante première partie, Brady passe au vif du sujet : son étude au cas par cas de tueurs en série du XXème siècle. Outre l’aspect extrêmement sordide et voyeur de cette seconde partie, « Le Meurtrier de la Lande » voit toujours plus loin. Théorisant les différents types de criminels, étudiant leur modus operandi et mettant en lumière les constantes et révoltantes erreurs d’interprétation de la police, cette seconde partie explore toujours avec finesse et discernement l’univers sombre et atroce du criminel et de ses actes barbares. La lecture en est littéralement captivante, tant l’écriture dynamique, cynique et documentée prend son public à la gorge tout en le faisant paradoxalement réfléchir avec lui. A nouveau, Brady arrive à tisser un lien étroit avec son lecteur et c’est à peine si l’on n’a pas l’impression de s’entretenir en privé face à lui. Néanmoins, rien de dangereux en tout cela : il reste impossible d’approuver tous ces crimes. Notre conscience est ainsi loin de rester endormie pendant la lecture, au contraire, elle reste en constant état d’alerte, réfléchissant sur tout ce que le narrateur peut affirmer, afin de ne pas se laisser convaincre trop aveuglément. Cette longue et complète étude se termine ensuite sur un épilogue qui reprend avec entêtement ce qui a été dit précédemment, terminant avec panache cette œuvre hors du commun. Alors bien sûr, il a fallu qu’un opportuniste de spécialiste auto-proclamé vienne fourrer sa postface par derrière (oui, c’est vraiment l’image obscène qui correspond). Celle-ci reste d’ailleurs incompréhensible tant elle est mal-écrite et mise en page, mélangeant dans un constant va et vient à vous en donner le tournis des citations par milliers et une narration qui se veut percutante mais qui est en fait complètement impuissante. « Les Portes de Janus » révèle en la personne de Ian Brady un excellent essayiste dont l’écriture et la pensée affirmées nous emmènent bien plus loin qu’à l’habitude. De quoi remettre en question certains aspects de la société et pointer du doigt ses disfonctionnement fondamentaux sous couvert de parler uniquement de tueurs en série. Une belle prestation, certes proche de l’immoralité mais fourbement intéressante qui gagne à être lue sans les interventions intempestives « d’intellectuels » bien-sous-tous-rapports. |