CHRONIQUES ALBUMS

La nostalgie possède cette qualité d’être une source d’inspiration intarissable et d’effleurer la créativité de bien des artistes. Si les américains de Cinema Strange (et dans une moindre mesure les Français de Violet Stigmata) s’étaient chargés de faire revivre le mouvement batcave à travers une merveille nommée "The Atonished Eyes Of Evening", les nouveaux arrivants se réclamant de cette même mouvance n’auront pas tardé à se manifester. Letatlin officie donc, à quelques différences près, dans un genre musical qui, en son temps, effrayait nombre de médias, d’incultes terrifiés par la différence et surtout pas mal de parents inquiets que leurs progénitures soient attirées par tant de noirceur et de théâtralité. La batcave renfermait dans ses catacombes un esthétisme sombre et délicieux pour les sens, un art décadent qui excusait et justifiait par sa beauté toutes sortes de déviances, de perversion et d’indélicatesse androgyne.

Les Italiens ne sont pas à leur premier coup d’essai mais durent attendre la sortie de "La Sepoltura Delle Farfalle" pour que le monde s’intéresse un tant soi peu à eux. Particulière et singulière, la musique de Letatlin l’est sans conteste. Collages sonores propres à l’indus, ambiances inquiétantes, arpèges en filigrane, saturation esseulée dans un paysage musical névrotique, rien ne manque pour installer l’auditeur devant une projection de ses propres angoisses. Les réminiscences punk sont évidemment perceptibles ("Naissance du robot") et les affres de la mélancolie tangible ("Digestione di un metabolismo medio", "Mancaza di calore"). Si l’expression de Letatlin se veut décalée, expérimentale et dérangeante, elle n’en demeure pas pour autant inaccessible. En effet, les éléments et sonorités sont parfaitement organisés et l’on peut saisir sans effort la main tendue des italiens afin de comprendre l’œuvre.
Un seul reproche et pas des moindres : le chant, dieu que tout cela manque d’envergure, de folie, d’audace et de force expressive. Qu’elle soit susurrée ou parlée, en italien ou en anglais, rien n’y fait, c’est un cuisant échec. Dès lors, il est logique d’affirmer qu’avec une prestation vocale de circonstance et la hauteur, le résultat final aurait été grandiose et mon bonheur, total.

A la frontière du cabaret des formations post punk et du non-conformisme de la musique indus, Letatlin signe là un album varié, émouvant, surprenant et à l’intensité perceptible. Quel dommage encore que les lignes de chant qui animent "La Sepoltura Delle Farfalle" ne soient pas en adéquation avec la richesse de l’orchestration, on aurait pu parler, non pas d’un disque mais d’un chef-d’œuvre.