Découverte et première écoute de Varsovie pour moi.
Pour la petite histoire, Varsovie c'est un groupe grenoblois formé en 2005 par Arnault Destal et Grégory Catherina. Leur post-rock /dark-rock sombre et mélancolique s'est déjà exprimé au travers de deux albums avant « Coups et Blessures ».
Les écouteurs en place je balance le son. Le titre éponyme de l'album, « Coups et Blessures » un rythme simple et une empreinte vocale Higelin-esque qui teinte la chanson avec des textes que le chanteur malheureusement parti trop tôt aurait pu écrire. Un petit air de rock français des années 80 berce le tout.
Ce n'est pas une accroche immédiate pour moi. Comme beaucoup de choses dont il faut s'imprégner pour s'en délecter, il faut un peu de temps.
Puis arrive « Revers de l'aube » qui me fait basculer. Toujours dans la même veine mais beaucoup plus enivrante, avec un changement de rythme marqué, ce côté punk beaucoup plus urgent qui ressort.
Avec « Va dire à Sparte », la troisième chanson de l'album je me mets réellement à écouter les paroles. Le rythme hypnotique de la musique se mélange parfaitement à la froideur du texte débité de manière mélancolique et à la fois violente par Grégory Catherina. Texte qui cristallise complètement le thème de cet album déjà résumé dans son titre. Les coups et blessures que l'on se prend au travers de notre passage dans cette vie, un état des lieux de tout ce que l'on encaisse, de tout ce qui se casse en nous et autour de nous. Les choses arrivent, c'est la manière dont on les vit qui est importante et qui fait de nous ce que nous sommes. Ici le message est de prendre ces noires blessures de manière détachée, avec une froideur fataliste, tout en restant digne et debout au travers de tout ça, jusqu'au bout, jusqu'à la mort, qui arrivera de toute façon à un moment donné, presque libératrice.
Une mort libératrice qui peut arriver plus tôt que prévu. « Killing Anna » fait référence à Anna Karénine de Tosltoï qui s'est suicidé sous un train. Un rythme oppressant qui avance tel une locomotive qui roule inexorablement, lourde et inarrêtable. Oppression et urgence que l'on retrouve également dans «Le Lac » qui nous invite à la noyade, tel un jeu macabre à travers la nuit. Riffs troublants et rythme parfois entraînant comme si la mort se dansait.
Mais avant de « souscrire à l'inaltérable », « Intersections » arrive comme un hymne à tous ceux qui, souffrant dans ce monde, luttent pour ne pas basculer de l'autre côté. Cette chanson se prête comme une épaule, une oreille qui écoute et comprend comment se sentent ces gens qui ne sont pas en phase avec ce monde, et un soutien dans le combat pour rester debout jusqu'à la fin.
« Amortir les chocs sans un bleu », encore une épreuve évoquée dans « Discipline », la septième chanson de l'album. Discipline dans la relation amoureuse, qui s'avère stérile, une atteinte impossible du bonheur. Ce qui pourrait s'appliquer à tout le reste d'ailleurs. L'impuissance que nous avons face à tous les chocs de la vie, mais exprimée sans frustration, seulement comme un constat malgré la question récurrente « comment sortir d'ici ». Cette chanson est d'ailleurs la plus lente de l'album, lancinante et posée.
« Chevaux échappés », une chanson écrite il y a longtemps, fait référence à la nouvelle de Yukio Mishima « Runaway Horses », et se fond totalement dans le thème de l'album. Cette nouvelle raconte l'histoire d'un samouraï qui se bat contre l'ordre établi, le capitalisme grandissant, à travers un périple et des épreuves difficiles. « Connaître et ne pas agir n'est pas vraiment savoir », voici ce qui meut Isao, ce samouraï en proie à ses émotions et aux réminiscences de ses réincarnations, avant de prendre conscience de l'hypocrisie et de la futilité de ses propres actes et de commettre seppuku (le suicide rituel des samouraï qui permettait de libérer leur âme et de se repentir). Comme un galop à travers la vie, ce morceau instrumental fait encore état de notre condition, des conditions du monde, résumé en la seule phrase qui coupe cette course, « Traverser les siècles pour en arriver là ».
Pour en arriver là.. pour en arriver à « Feux », la chanson qui termine l'album en beauté puisque la libération est enfin là. « Ceux qui vont mourir te saluent ». C'est la fin, nous tendons enfin les bras vers la lumière. Nous faisons le bilan de cette vie, de ces échecs, de ce qui reste et nous nous laissons happés par nos flammes intérieures et par ce grand brasier pour enfin mourir merveilleusement. Le morceau se découpe en plusieurs partie, allant crescendo au niveau de l'intensité, comme le feu qui se nourrit petit à petit de toutes ces choses dont nous/le monde veut se débarrasser.
Je ne m'arrête pas là dans mon écoute et repart sur les premières chansons afin de m'imprégner de leurs textes cette fois. J'écoute plus attentivement les « Coups et les Blessures » que l'on se prend au début de l'album, bruts et violents, puis ce début d'histoire de nuit que je n'avais pas saisi dans « Revers de l'aube » qui forme avec « Killing Anna » et « Le Lac » une trilogie nocturne et macabre.
« Coups et Blessures » s'écoute et se réécoute. A chaque fois des subtilités de rythmes et de textes, de références littéraires prennent vie. Passée l'appréhension que l'on a souvent à écouter ce genre de musique en français, on comprend tout de suite le parti pris car la richesse de la langue française est mise brillamment à l'honneur. Cet album peut s'écouter comme on lit un superbe livre. A la fois très mélancolique et sombrement positif, il remue les oreilles et les tripes. Adepte de littérature, de post-punk, de rock, de dark rock, de black metal, de metal (ou simplement juste humain en vie) chacun pourra se laisser hypnotiser et embarquer dans le tourbillon Varsovie, par ses références, par ses riffs, par son rythme, ou par le sens transmis.
Et puis je réécoute cet album, cette pure allégorie du cycle de la vie, parce que, comme tout cycle, il est appelé à se répéter, encore et encore.
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